Le mythe des 24 mots de Satoshi Nakamoto refait surface

Une rumeur a encore tourné en boucle ce week-end : il suffirait de « 24 mots » pour déverrouiller les coins de Satoshi, évalués autour de 112 milliards$.

Emmanuel Roux Par Emmanuel Roux Dernière mise à jour 4 mins de lecture
Le mythe des 24 mots de Satoshi Nakamoto refait surface

Pour Résumer

  • Satoshi n’a jamais eu de « phrase de 24 mots ».
  • En 2009, les portefeuilles Bitcoin stockaient des clés locales, sans seed ni dérivation HD.
  • Le standard BIP39 n’arrive qu’en 2013.
  • Chercher une « clé magique » revient à confondre mythologie et cryptographie : les fonds de Satoshi sont épars, pas enfermés dans un coffre unique.

Non, Satoshi n’a pas une « phrase de 24 mots »

La fameuse « seed » en 12 ou 24 mots n’existait pas quand le réseau a démarré. Les premiers portefeuilles utilisaient des clés générées localement, sans sauvegarde mnémotechnique.

Réduire l’accès aux coins de Satoshi à une suite magique de mots, c’est projeter un standard moderne sur une époque qui ne l’utilisait pas. On parle d’outils apparus bien plus tard que le client initial publié en 2009.

Imaginer l’inverse, c’est confondre confort d’usage et archéologie du protocole.

BIP39 arrive en 2013, pas en 2009

La seed phrase est codifiée par BIP39 en 2013. Ce standard permet d’encoder un « master seed » sous forme de 12 à 24 mots et d’en dériver une arborescence d’adresses.

Pratique, robuste, exportable. Mais anachronique pour l’époque de Satoshi.

Les tout premiers wallets ne dérivaient pas d’adresses hiérarchiques comme le font aujourd’hui les portefeuilles HD. Ils fonctionnaient avec des paires de clés indépendantes, souvent sauvegardées par des fichiers locaux, parfois dupliquées sur des supports physiques.

Penser qu’une seed moderne ouvre des clés anciennes revient à chercher un port USB sur un magnétoscope.

Il n’existe pas de « coffre unique » à ouvrir

Autre idée fausse très tenace : un « grand coffre » à 1 million de BTC qui attend une clé maîtresse. La réalité est dispersée.

Les pièces attribuées à l’ère Satoshi se trouvent sur de multiples adresses historiques, majoritairement en P2PK, un format antérieur au P2PKH que tout le monde connaît. Pas de seed globale.

Pas de master key universelle. Des clés privées distinctes, point.

Ceux qui suivent les mouvements anciens savent que l’on traque des poussières, des patterns, pas un coffre unique.

Pourquoi le mythe revient et comment éviter le piège

D’abord, une seed moderne protège des clés modernes. Elle ne rétro-verrouille pas des schémas d’antan.

Ensuite, les coins anciens sont éparpillés, verrouillés par des clés privées qui ne se « devinent » pas avec 24 mots tombés du ciel. Enfin, l’histoire de Bitcoin n’est pas un coffre-fort romanesque.

C’est un empilement de formats, de clients, d’adresses, de pratiques qui ont évolué.

On peut ajouter un test simple pour débusquer les intox. Si un post suppose un bouton unique qui résout un problème complexe, méfiance, si le propos saute les dates, méfiance. Si l’argument tient en une phrase choc, méfiance aussi.

Et si l’on vous suggère d’essayer de « deviner » une seed, passez votre chemin. Vous exposez votre propre sécurité pour courir après un fantasme.

La cryptographie n’offre pas de raccourcis narratifs. Elle offre des garanties mathématiques, ce qui est moins sexy, mais bien plus solide.

Au fond, cette rumeur dit surtout notre impatience. On veut que Satoshi parle, ou qu’il soit démasqué, ou qu’il soit vulnérable.

On voudrait une clé unique parce que l’idée même de dispersion déçoit. C’est pourtant cette dispersion qui protège l’écosystème.

Des clés privées indépendantes, des standards écrits noir sur blanc, des versions successives qui ne se superposent pas au gré des fantasmes. C’est plus ennuyeux qu’un tweet spectaculaire, certes.

C’est aussi ce qui fait que vos 0,01 BTC ne dépendent pas de « 24 mots » supposés planqués quelque part par un inconnu.

Alors, la prochaine fois que l’on vous promet d’ouvrir la « fortune de Satoshi » avec une phrase miracle, demandez-vous ceci : où sont les dates, où sont les formats, où est l’explication technique minimale ? Sans ces trois éléments, on n’est pas face à une découverte.

On est face à un appât.


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Emmanuel Roux

Issu de la finance traditionnelle, j’ai naturellement basculé vers l’univers crypto, attiré par son potentiel. Je souhaite y apporter mon approche analytique et rationnelle, tout en conservant ma curiosité. En dehors de l’écran, je lis beaucoup (économie, essais, un peu de science-fiction) et je prends plaisir à bricoler. Le DIY, pour moi, c’est comme la crypto : comprendre, tester, construire soi-même.

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